Cette réflexion a été écrite par Delphine Mertens performer et pédagogue.
Fin mars 2020, Gea Zazil l’initiatrice de ChoreograKids m’a écrit pour me parler d’un projet… Un projet assez inhabituel qui m’a remplie de curiosité et d’envie, et puis très vite de joie, mais aussi de questionnements : les « VidéoconfeDANSES ».
La Belgique rentrait dans une période de confinement sans précédent.
Les rues étaient vidées, les rares personnes que je croisais lors de mes sorties évoluaient lentement, l’air hagardes. Nous étions en plein choc, pas bien sûr de vers quoi nous irions. Si le futur allait vraiment être meilleur, si ça n’allait être qu’une phase, ou pas…
J’étais moi-même confuse. Perdue dans le temps. Les jours se confondaient. De nouvelles remises en question se pointaient, bien lancinantes, comme on les aime. Crise sanitaire/changement climatique / responsabilité civile / injustices / responsabilité humaine / solidarité / politique / frontières… Bref, il y avait de quoi se questionner.
C’est dans ce contexte que je reçois la proposition de Gea : la rejoindre dans son processus de recherche pour les vidéoconfeDANSES et y donner des sessions. Cette proposition venait à point.
Dans les premiers jours de confinement, je m’étais beaucoup interrogée sur la place que pouvait prendre l’art dans une société en crise : comment inviter les pratiques artistiques à nourrir les humains même dans l’urgence? Même dans le désarroi? Comment rendre en quelque sorte l’art utile? Alors que l’une de ses caractéristiques premières (pour moi) est qu’il est pratiqué par conviction de coeur et pas par conviction économique ou productiviste?
Toutes ces questions ont trouvé une première piste de réponses dans la proposition de Gea. Donner des ateliers à des enfants dans ces temps de crise m’a semblé être une manière plus qu’importante de continuer de pratiquer la recherche artistique. En effet, cette pratique a une énorme capacité de rencontrer nos émotions, nos états et nos considérations, et de les partager, de les transformer et d’en faire quelque chose qu’on aime plutôt que de les subir.
D’imaginer un monde autre, qui nous correspond mieux. Et ça, ça restera toujours un processus merveilleux et indispensable…
Quelques lignes sur les ateliers maintenant…
Les #videoconfeDANSES sont basées sur l’approche de créations chorégraphique par et pour les enfants que Gea a développée dans ses ateliers ChoreograKids, mêlée à une recherche sur le médium vidéo, et plus particulièrement sur le dispositif de la vidéoconférence.
Pour être honnête, sans le COVID-19, je n’aurais pas souhaité mener un atelier de corps par l’intermédiaire de webcams, moi, si fervente défenseuse de la présence, de l’implication réelle, du vivant.
Mais vu les circonstances, la possibilité de passer du temps à explorer avec des enfants grâce à cette technologie m’a semblé être la meilleure solution.
Vivement qu’on revienne au live, mais en attendant, explorons ces possibles extrêmement riches.
D’autres artistes étaient également intégrés au projet, notamment Sol Spinelli vidéaste qui nous a permis de clarifier quelques notions et nous a aidé à développer un vocabulaire commun que nous avons exploré avec les enfants.
Nous nous sommes partagées les sessions avec Gea et avons sauté dans le train en marche. Il fallait être efficaces, amener des propositions de qualité aux enfants tant physiques, chorégraphiques, que d’exploration de cette association de la vidéoconférence et de la danse.
Ca a été un laboratoire riche et nous avons vite compris quelles étaient les forces et les faiblesses de ce nouveau médium. Comment explorer à distance une physicalité intéressante, qui fasse du bien aux enfants, tout en explorant les possibles de ce format atypique? Ca amenait des challenges. Pour moi l’envie n’était pas de considérer que « toute nouvelle contrainte peut être source de créativité" que je trouve potentiellement dangereuse, mais plutôt de nous lancer dans un projet naissant de la combinaison de passions que nous n’avions jamais eu l’occasion de mêler de cette manière et de vraiment l’explorer.
Ca n’a pas toujours été évident. Il fallait adapter complètement notre pédagogie à cette nouvelle forme. Travailler les corps à distance est possible mais demande d’autres approches. Les problèmes techniques ne sont pas les mêmes qu’en live. Parfois on ne m’entend pas quand je parle sur de la musique, parfois c’est la musique qu’on n’entend pas. D’autres fois c’est la webcam qui pose problème. Les exercices à deux ou en groupe doivent s’organiser d’une manière complètement différente. Il faut somme toute beaucoup plus baser le travail sur les corps dans leur aspect formel pour que cela puisse être retransmis par la vidéo, ou sur le ressenti des enfants qui est d’autant plus vif et indispensable à inviter dans ces périodes complexes.
D’autres part, la gestion de groupe est très différente. Il n’est pas possible de « lire » les corps de la même manière.
Les signaux sont différents.
Je ne peux pas me déplacer dans le studio, ou simplement écouter les sons des respirations, ou voir les fronts devenir moites, les mouvements devenir de plus en plus subtils. Les technologies à disposition ne permettent pas de vérifier que les exercices fonctionnent de la même manière. Il faut trouver d’autres stratégies pour que notre perception de ce qui se passe vraiment dans les corps des enfants puisse être aussi aiguisée.
Le fait que nous soyons nous-mêmes aussi dans des périodes plus complexes ne facilite pas la tâche. Ca peut donner « la niak » bien sûr, mais c’est tout de même forcément moins évident de donner cours de manière sereine lorsqu’on a des insomnies, ou qu’on apprend à un rythme effréné des mauvaises nouvelles pour les autres ou pour soi…. Gérer ces nouvelles difficultés tout en prenant soin de notre présence en tant que pédagogue a aussi fait partie du challenge de ce projet.
Au niveau de la matière, en plus du travail chorégraphique et du lien à la vidéo, j’ai eu l’envie d’inviter les enfants à explorer des aspects que je travaille dans ma propre pratique artistique. Nous nous sommes concentrés sur les textures, sur les matières qui les environnent et celles qui les constituent eux-mêmes. Les courants dits de « Matérialisme » et de « New materialism » sont fort en écho avec mon approche. Une fascination pour le vivant. Une fascination pour la matière. Mais pas que pour la « matière humaine ». Pour toutes les matières qui interagissent, coexistent, s’influencent, qu’on le veuille ou non. Ces courants mettent à l’honneur l’humain.e, et toute matière existante. En ces temps de crise sociétale & environnementale (&…), et de besoin de poésie, il m’a semblé doux d’emprunter quelques unes de ces métaphores et d’en teinter la recherche. Comme à leur habitude, les enfants sont rentré avec entièreté, intégrité et malice dans les propositions. Ils se les sont appropriées et ont créé de merveilleuses compositions.
En plus des #vidéoconféDANSES avec les enfants, nous avons parlé pendant des heures avec l’équipe pour se partager des idées, des conseils techniques, des idées de composition à mettre en place, des envies pour le futur, des questions pour aujourd’hui.
Ca s’est construit, ça s’est expérimenté, et le premier cycle des vidéoconféDANSES est déjà terminé! Nous avons exploré une première approche, avons enregistré des heures et des heures d’écrans dansés et Sol va bientôt monter une vidéo clip résultant des créations chorégraphiques des enfants. Bientôt nous en verrons le résultat…!
Il y a encore énormément de possibles à explorer, dont certains que nous avons déjà pointé avec les enfants et qu’il nous tarde d’entamer…
A suivre…
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